Rivarol

De Christ-Roi
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Rivarol (1753-1801), écrivain, journaliste contre-révolutionnaire.

LE RIVAROL DE MICHEL COINTAT

"Descendant d'un comte italien originaire de Parme, bel esprit, bon poète, rompu à l'art de la dialectique, l'apôtre de la langue française Antoine de Rivarol (1753-1801) conjugue rationalité et romantisme, rigueur et sensibilité féminine. Ses idées, ses fulgurances, ses traits de portraitiste implacable témoignent d'un génie lucide et cristallin d'intelligence. "Ce qui n'est pas clair n'est pas français". La splendeur du vrai par l'éclat du style et la finesse des concepts, c'est le français Rivarol, c'est l'œuvre française de Rivarol. L'ouvrage de l'ex-député ministre Michel Cointat s'attache à l'examen systématique des sources bio-bibliographiques de l'écrivain Rivarol. Il nuance ou rectifie des données approximatives ou erronées reprises depuis deux siècles. Il restitue l'homme et le moraliste à lui-même, et son pari d'authenticité est tenu.

L'on ne suivra pourtant pas M. Cointat dans sa dévotion aux Lumières, les Droits de l'Homme, et son choix personnel de la liberté d'avorter. Si Rivarol qualifie la Déclaration de 1789 de "préface criminelle d'un livre impossible", ce n'est pas que son "intuition a été mise en défaut" mais qu'il a pressenti l'arbitraire et l'homicide de cette dogmatique nouvelle. […] Pour de profondes réformes enracinées dans nos traditions politiques de distinction du temporel et du spirituel, pour un Etat organique et hiérarchique, Rivarol partage et admire l'Esprit des Lois du président Montesquieu. Il n'avalise aucunement la séparation des pouvoirs, mais décrit le fonctionnement exemplaire des trois pouvoirs, unis dans la personne du souverain et distincts dans leur exercice. L'on est loin de la dichotomie moderne et républicaine à la source de tant de dysfonctionnements. M. Cointat néglige ces subtilités. Les approches rivaroliennes se sont multipliées au XXe siècle. On complètera le livre de M. Cointat par les études polémique de Pierre Dominique, anecdotique de Bernard Faÿ, linguistique d'Ernest Jünger et anthologique de Jean Dutourd, pour saisir la fraîcheur et la diversité du maître de Bagnols-sur-Cèze"

(Source: Fideliter Janvier-février 2002, n° 145, p. 67.)

"RIVAROL, LE VERITABLE INCORRUPTIBLE" (Georges-Paul Wagner)

Rivarol a gardé la réputation d'un homme d'esprit, dont les bons mots, qui couraient Paris, dorment aujourd'hui dans des recueils. Il a passé une partie de sa vie dans des salons, participé à des soupers où il fallait briller et qu'il préparait dans l'après-midi. Il y avait acquis l'art de tracer en quelques mots un portrait physique ou moral, quelquefois les deux.

Il disait de Mirabeau qu'il était "l'homme du monde qui ressemblait le plus à sa réputation, il était affreux"; de Condorcet "qu'il écrivait avec de l'opium sur des feuilles de plomb"; du duc d'Ayen, ennuyeux et peureux, qu'il était "un de ces hommes qu'on fuit dans les temps calmes et qui fuient dans les temps d'orage". A un sot, qui se vantait de savoir quatre langues, il fit la remarque: "Je vous félicite, vous avez quatre mots contre une idée". Elle est encore de lui cette maxime de grande portée: "C'est un grand avantage de n'avoir rien fait, mais il ne faut pas en abuser".

Il n'y avait pas toutefois que les salons et les soupers pour l'occuper. Il écrivait. En 1783, l'Académie de Berlin proposa comme sujet de prix la réponse à trois questions: "Qu'est-ce qui a rendu la langue française universelle? Pourquoi mérite-t-elle cette prérogative? Est-il à présumer qu'elle la conserve?" Rivarol rédigea en réponse un Discours intelligent et érudit, et obtint le prix et l'admiration de Frédéric II, qui était un bon écrivain français. Quoiqu'il en soit, de la valeur des arguments qu'il utilisa dans ce texte, Jean Dutourd observe "qu'un écrivain français (…), ne peut le lire sans émotion, car c'est, d'un bout à l'autre, un prodigieux acte de patriotisme littéraire". Comparant successivement le français à l'allemand, l'espagnol, l'italien, l'anglais, il énumère les motifs de philosophie,d’histoire, de grammaire qui font la supériorité de notre langue et conclut: "La syntaxe française est incorruptible; c'est de là que résulte cette admirable clarté, base éternelle de notre langue. Ce qui n'est pas clair n'est pas français". Le prix qu'il obtient à Berlin assure sa réputation à Paris. Il a trente et un ans. Il n'y a pas si longtemps qu'il a quitté son village de Bagnols-sur-Cèze et la famille pauvre où il a passé ses premières années. Il est l'aîné de seize enfants. Son père, d'une bonne famille piémontaise, a dû se résigner à tenir une auberge sur laquelle les mauvaises langues vont glousser car il se dit gentilhomme.

Qu'importe! Il a, pour plaire, avec sa plume et son esprit, fière allure et beau visage. Il a fréquenté Voltaire et d'Alembert. Il ne paraît pas fermé aux idées nouvelles. Il a plus d'admirateurs que d'ennemis.

En 1788, il a l'audace de faire paraître un Petit almanach des Grands Hommes très plaisant. Il y a entassé, pour les sortir un instant d'un oubli mérité, les auteurs manqués et sifflés, les rôdeurs de littérature. Figurer dans l'Almanach est à la fois pour eux une page de publicité et un gage de médiocrité. A peine sortis du néant, les malheureux y sont replongés. Le livre fait beaucoup rire, et grincer quelques dents.

Or, un an plus tard, Rivarol voit certaines de ses victimes accéder à la notoriété, notamment Marie-Joseph Chénier, frère d'André, futur conventionnel et régicide, ou Garat, député aux Etats généraux, qui sera en octobre 1792, après Danton, ministre de la Justice (c'est lui qui notifiera à Louis XVI sa condamnation à mort).

A la tribune de l'assemblée, sur les scènes de théâtre où leurs pièces sont jouées, dans les journaux révolutionnaires, ces inconnus se font connaître. Leur lourdeur semble profondeur, leurs outrances imagination et vertu. "En un mot, écrit Rivarol, les ennemis de la langue sont devenus tout à coup les défenseurs de la nation"…

L'observation va loin. Non seulement un auteur manqué, comme un acteur sifflé, est prêt à tous les massacres, mais il y a dans toute révolution une volonté de déménagement qui s'attaque à la langue, conservatoire de la pensée d'un peuple. La révolte contre l'autorité est souvent précédée d'une sédition contre la grammaire et l'orthographe. La langue a le tort insupportable de régner par l'usage, d'être fidèle à ses racines, sévère aux vocables étrangers, et aussi d'obéir à quelques lois.

Quand, en 1792, Rivarol doit quitter la France, il explique ainsi son départ: "Si la Révolution s'était faite sous Louis XIV, Cotin eût fait guillotiner Boileau et Pradon n'eût pas manqué Racine. En émigrant, j'ai échappé à quelques Jacobins de mon Almanach des Grands hommes".

Mais en 1789, il n'est pas question d'émigrer. L'homme de salon, apparemment frivole, devient, à partir du 12 juillet 1789, dans le Journal Politique National de l'Abbé Sabatier, puis dans les Actes des Apôtres, le chroniqueur les plus clair, le plus juste, le plus éclairé et le plus impitoyable des premières sottises révolutionnaires. Puisque les ennemis de la langue sont devenus défenseurs de la nation, il va, avec logique, passer de la défense du français à celle de la France et de la monarchie.

Il y faut du courage car, dès 1789, les amateurs d'idées nouvelles accrochent volontiers aux réverbères leurs contradicteurs. La presse est tout à fait libre, mais à condition d'aller dans le sens du vent… Le Journal Politique National doit surmonter des difficultés multiples de diffusion et d'impression. L'abbé Sabatier ne tarde pas à émigrer. Rivarol, s'il le faut, se cache en province mais continue d'écrire et de publier. De loin, il a l'œil sur les évènements et recueille les faits pour tenir une chronique exacte, seulement retardée par le temps et la réflexion. Chaque livraison du journal est en outre précédée d'une citation, souvent d'Horace ou de Virgile. Les pages qu'il consacre aux journées d'Octobre ne paraîtront qu'en janvier 1790. Le fameux Edmund Burke, qui publie, cette même année, ses belles Réflexions sur la Révolution françaises, confiera plus tard à l'un des frères de Rivarol: "J'ai vu trop tard pour en profiter les admirables Annales de Monsieur votre frère. On les mettra un jour à côté de celles de Tacite".

[…] Le premier, il osera qualifier la Déclaration des droits de "code des sauvages" et s'étonner que l'Assemblée eût "recueilli des maximes en faveur de l'égoïsme et de toutes les passions ennemies de la société".

[…] La "faction d'Orléans" en prend ici pour son grade et aussi le duc d'Orléans, "qui semait à force d'or la disette au milieu de l'abondance et préparait une insurrection dans les faubourgs, dans les halles et dans les districts" jusqu'au moment où il "s'est jugé lui-même indigne des crimes qu'il payait et s'est enfui".

Fermeté de la Reine

Quand les émeutiers tentent de pénétrer dans le château, tout n'y est "que pleurs et confusion autour de la reine et du roi (…). Le Garde des Sceaux se désespérait. MM de la Luzerne et Montmorin se voyaient tels qu'ils étaient, sans courage et sans idées: le roi paraissait abattu, mais la reine, avec une fermeté noble et touchante, consolait et encourageait tout le monde". En revanche, Necker dans un coins fait piètre figure. Il est morne, incapable d'une initiative et Rivarol résume ses constations avec amertume: "Je ne crains pas de le dire, dans cette révolution si vantée, prince du sang, militaire, député, philosophe, peuple, tout a été mauvais jusqu'aux assassins"…

A travers tant de jugements sévères, l'indulgence de Rivarol pour la reine est à remarquer. Cette indulgence est en harmonie avec un beau texte qu'Edmund Burke écrit à la même époque sur celle-ci, se souvenant de l'avoir vue dauphine, à Versailles, alors dans tout l'éclat de sa beauté, et comparant avec tristesse son triomphe d'alors et sa chute d'aujourd'hui.

A long de ses chroniques, Rivarol évolue à l'évidence et apparaît de plus en plus nostalgique d'une monarchie que, deux ans plus tôt, il voulait réformer et soumettre à une Constitution. Il s'écrie alors: "Ne vous souvient-il plus que jadis, lorsqu'on parlait d'un roi vraiment roi, on nommait le roi de France, et lorsqu'on parlait d'un peuple qui aimait son roi, qu'on nommait les Français? Vous avez détruit à la fois et cette puissance et cet amour dont vous pouviez tirer un si grand parti pour la gloire du trône et le bonheur du peuple".

[…] Il meurt le 11 avril 1801… d'une sorte de pneumonie aggravée sans doute par la tristesse et l'exil.

Il garde la gloire d'avoir vu clair le premier au milieu d'une incroyable tempête et de n'avoir rien concédé au mensonge, parmi les périls. C'est un titre toujours rare parmi les hommes, et plus rare encore parmi les écrivains"

(Source: Georges-Paul Wagner, Rivarol le véritable incorruptible, Fideliter, Mars-Avril 2001, n° 140, p. 61-66).