Islam: Conversion des musulmans en Europe

De Christ-Roi
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Abbé Laroche

Extrait de la conférence donnée à Paris, le 8 mars 2006, par M. l’abbé Patrice Laroche, professeur au séminaire de Zaitzkofen, en Allemagne, et auteur d’une thèse de doctorat sur « L’évangélisation des musulmans en France » (Strasbourg 2001).


Le bienheureux Charles de Foucauld

Son souhait le plus ardent était que « tout le pays fût couvert de religieux, religieuses et de bons chrétiens restant dans le monde, pour prendre contact avec tous ces pauvres musulmans, pour les rapprocher doucement, pour les instruire, les civiliser, et enfin en faire des chrétiens ». Aussi déplorait-il l’indifférence des chrétiens de France à l’égard des musulmans d’Afrique du Nord :

« Priez aussi pour tous les musulmans de notre empire nord-ouest africain, maintenant si vaste. L’heure présente est grave pour leurs âmes comme pour la France. Depuis quatre-vingts ans qu’Alger est à nous, on s’est si peu occupé du salut des âmes des musulmans, qu’on peut dire qu’on ne s’en est pas occupé. Si les chrétiens de France ne comprennent pas qu’il est de leur devoir d’évangéliser leurs colonies, c’est une faute dont ils rendront compte, et ce sera la perte d’une foule d’âmes qui auraient pu être sauvées ».


Et de lancer cet avertissement prophétique :

« Si la France n’administre pas mieux les indigènes de sa colonie qu’elle ne l’a fait, elle la perdra, et ce sera un recul de ces peuples vers la barbarie, avec perte d’espoir de christianisation pour longtemps ».


Charles de Foucauld était conscient que le travail qu’il avait entrepris serait de longue haleine :

« Il semble qu’avec les musulmans, écrivait-il à un ami, la voie soit de les civiliser d’abord, de les instruire d’abord, d’en faire des gens semblables à nous ; ceci fait, leur conversion sera chose presque faite elle aussi, car l’islamisme ne tient pas devant l’instruction ; l’histoire et la philosophie en font justice sans discussion : il tombe comme la nuit devant le jour. L’oeuvre à faire ici, comme avec tous les musulmans, est donc une oeuvre d’élévation morale : les élever moralement et intellectuellement par tous les moyens ; se rapprocher d’eux, prendre contact avec eux, lier amitié avec eux ; faire tomber, par les relations journalières et amicales, leurs préventions contre nous, par la conversation et l’exemple de notre vie, modifi er leurs idées ; procurer l’instruction proprement dite ; faire enfin l’éducation entière de ces âmes : leur enseigner, au moyen d’écoles et de collèges, ce qui s’apprend dans les écoles et les collèges ; leur enseigner par un contact journalier, étroit ce qu’on apprend dans la famille ; se faire leur famille… Ce résultat obtenu, leurs idées seront infiniment modifiées, leurs moeurs améliorées par là même, et le passage à l’Evangile se fera facilement ».


C’est ce qui pourrait se faire aujourd’hui en France. Mais nous ne sommes pas aidés par un gouvernement qui ne fait pas aimer la France à ces gens qui sont venus pacifiquement chez nous. L’éducation qu’ils reçoivent ne leur fait pas aimer la France, ne leur fait pas aimer l’Europe.


Un autre obstacle, c’est que l’Eglise ne se préoccupe pas de cela ou du moins pendant très longtemps ne s’en est pas préoccupé. Cependant depuis quelques années les évêques de France s’intéressent au travail auprès des musulmans, mais surtout par le dialogue pour le dialogue.


Les évêques français et l’islam

Quelle a été, quelle sera l’attitude de l’Eglise de France à l’égard de l’islam ? Les contacts avec les musulmans demeureront-ils uniquement de l’ordre du dialogue, de l’entraide et du témoignage ? Une véritable évangélisation est-elle réalisée auprès de certains ? Y a-til des demandes de baptême et des baptêmes effectifs ?


Les évêques français et les Harkis

Il n’est pas inutile de relater comment le problème commença à se poser en Métropole. En 1962, fuyant les massacres du FLN où avaient péri dans d’horribles supplices plus de 60 000 de leurs compagnons d’armes, 15 000 musulmans qui avaient servi sous le drapeau français (90000 avec les familles) sont recueillis par l’armée, réunis dans des camps avant d’être dispersés dans différents départements. « Nous sommes Français, nous prenons la religion de la France », disent certains au général Faivre qui aide les survivants à s’installer à Dreux. Mais le clergé de Dreux refuse de s’occuper des enfants, ne serait-ce qu’au patronage. Résultat : très peu sont devenus chrétiens. Pourquoi ce gâchis est-on tenté de dire ? L’expérience du Père Avril, qui fut au coeur de ce drame, nous le fera comprendre.


De retour d’Algérie qu’il a dû fuir en 1962, il s’est appliqué à l’évangélisation des musulmans français rapatriés, les Harkis. Sans doute est-il le premier en France à avoir cherché à le faire. En vain, explique-t-il dans son livre La XIIe Croisade, a-t-il cherché à intéresser à ce travail l’épiscopat français et le Vatican :

« Dans mon action en faveur de l’évangélisation des Harkis, j’ai reçu des encouragements chaleureux et substantiels de la part de tous, des plus humbles Français comme des officiels les plus haut placés. Mais de la part de la Hiérarchie, je n’ai subi qu’interdictions et condamnations. Et la majeure partie de mon temps, devrai-je l’utiliser à justifier les principes de mon action personnelle, mais surtout à essayer bien en vain de convaincre leurs Excellences et d’entraîner toute l’Eglise de France dans cette mission. J’agite la terrible alternative : ou bien évangéliser et par là intégrer, ou bien islamiser et par là désintégrer ».


Des motifs politiques, secondés par la théologie en vogue après le Concile, leur ont fait faire la sourde oreille.

Par deux fois, explique le Père Avril, la Providence a confié à la France la mission de l’évangélisation des masses islamisées. Chaque fois, elle a trahi et subi les conséquences de sa trahison. La première fois en Afrique du Nord où, bien loin d’entreprendre l’évangélisation, elle l’a interdite, tout en favorisant l’islamisation. La deuxième fois sur son propre territoire, elle a manqué à ce qui était pour elle la grâce du siècle, se mettant en situation d’être réduite par ce qu’elle a refusé de réduire.

La hiérarchie catholique et le gouvernement français observaient le même statu quo. La position officielle, à l’école de Louis Massignon, peu à peu adoptée par les Pères Blancs et reçue à Rome même avant le Concile, était : enseigner uniquement la loi naturelle aux musulmans, et pour leur conversion, attendre pendant des siècles l’heure de Dieu. A cela, le Père Avril répond : vouloir demeurer dans le domaine naturel, c’est fermer la porte à Dieu, car, comme l’enseigne le Concile de Trente, l’homme ne peut se maintenir longtemps dans l’observance de la loi naturelle sans la grâce divine.

« Les Harkis sont en France, et Français. Islamisés par la France, ils étaient considérés comme musulmans, c’est-à-dire membres de la Communauté musulmane. En France et Français, ils sont libérés de cette contrainte, ils sont nouveaux, neufs. A nous de leur proposer la vérité et Celui qui est la Vérité, et de prier pour que Dieu et son Eglise leur donnent la foi. Comment procéder ? A Salérans, réaliser un groupe de berbères et d’arabes chrétiens, qui forment un village chrétien, qui alimenteront un séminaire spécialisé, et qui devront tout naturellement faire tâche d’huile ». Tel est en 1964 le plan du Père Avril pour qui il est urgent de « ramener les riverains de la Méditerranée à leur christianisme d’origine ».

Mais les évêques français refusent catégoriquement de s’occuper des Harkis car cela a une résonance politique. L’évêque de Digne précise au Père Avril qu’il ne faut évangéliser les Harkis sous aucun prétexte. Ils risquent d’apostasier s’ils retournent dans leur pays et les Etats musulmans pourraient user de représailles contre les minorités chrétiennes. C’est l’époque du Concile qui prépare un document sur l’islam, il ne faut surtout pas risquer de faire des apostats et de déplaire aux musulmans… « Alors il n’y a rien à faire ? » Et l’évêque rencontré à Rome le 28 septembre 1964, alors que le matin même a été discuté le texte sur l’islam, de répondre : « Mais oui, il faut les aider à rester de bons musulmans, à pratiquer leurs fêtes, à ne pas devenir athées ».

Tandis qu’un « document confidentiel » destiné aux évêques leur fait une défense absolue d’évangéliser et de baptiser les Harkis, le Père Avril voit les premiers fruits de son apostolat : le 3 juillet 1965, il baptise quatre enfants avec l’acceptation ouverte et franche de leur famille.

A l’automne 1965, il est tout de même question de nommer le Père Avril « Aumônier national » des Harkis. Ce projet a l’agrément de Mgr Etchegaray, chargé de ces populations. Mais les évêques de France consultés répondent par la négative, quoique sensibles à la nécessité d’une solution. Au nom d’une recherche pastorale commune, en réalité en raison du refus de l’évangélisation et de la peur d’être accusé de faire de la politique en s’occupant des Harkis, les solutions sont toujours remises à plus tard. Et l’on refuse le baptême à des familles qui le réclament depuis des mois.

C’est par conséquent seul ou presque, avec des moyens fort limités et sans mission officielle, que le Père Avril a continué autant qu’il le pouvait son apostolat auprès de ces « Français musulmans » qui frappaient à la porte de l’Eglise que les responsables ecclésiastiques, enfermés dans leurs peurs et leurs préjugés, n’ont pas voulu ouvrir. Le Père Avril a tout de même contribué à la conversion de 200 Harkis d’origine kabyle.


Conférence épiscopale française

Quoique confrontée depuis plusieurs décennies à la présence d’un nombre important de musulmans, pendant longtemps l’Eglise de France ne sut pas en quoi consistait sa mission à leur égard. C’est ce qui ressort de l’intervention de Mgr Louis Dufaux, alors évêque de Grenoble et président du Secrétariat pour les relations avec l’islam, au cours de l’Assemblée plénière de l’épiscopat français à Lourdes en 1990 : « Quelle est notre mission ? Et quelle position avoir en tant qu’Eglise à ce problème [l’intégration des immigrés musulmans] posé à la société française ? Quels moyens nous donnons-nous, à tous les niveaux, pour faire face à nos responsabilités ?.… Il est nécessaire d’élaborer des points de référence qui puissent servir de repères pour notre mission où rien n’est tracé d’avance ».


La raison de ces hésitations vient de la nouvelle attitude de dialogue que s’est fixée l’Eglise depuis Vatican II, et dont elle ignore encore le résultat. Néanmoins, les évêques français ont mis sur pied plusieurs services pastoraux qui d’une manière ou d’une autre sont en contact avec l’islam. Nous en citerons les trois principaux :

  • Le Secrétariat pour les relations avec l’Islam (SRI) est l’un des secrétariats de la Conférence épiscopale française. Il fut fondé en 1971 dans le but d’appliquer le Concile qui avait souhaité que l’on jette un regard nouveau sur l’islam. Il était alors question de s’intéresser aux problèmes des musulmans arrivés en France et d’avoir avec eux de bonnes relations. A partir d’une attitude faite d’estime à l’égard des musulmans qui sont nos

frères dans le Christ, parce que le Christ est mort pour tous, il faut chercher et développer les points de convergence, sans nier les différences. Le but du SRI est de former des chrétiens et des musulmans dans cet esprit et d’établir le plus possible de relations avec les musulmans qui sont en France.

  • Il y a aussi le Service de la Pastorale des Migrants qui est l’institution que la Conférence épiscopale de France s’est donnée pour manifester dans notre pays la solidarité de l’Eglise envers les étrangers. Cette solidarité s’exprime d’abord par l’accompagnement pastoral des communautés chrétiennes d’origine étrangère, mais se manifeste aussi dans l’accueil et la défense des droits des immigrés et, de cette manière, ce Service est lui aussi en contact avec des musulmans.
  • Dépend aussi de la Conférence épiscopale le Service national du catéchuménat dont le but est d’aider les évêques à accueillir et accompagner les catéchumènes. Il a donc, à la diff érence du SRI qui se consacre au dialogue avec les

équivoques que l’on a vues, un rôle défini, car un catéchumène veut une doctrine claire et explicite qui lui permette de rendre compte de sa foi.


En principe le catéchuménat se déroule - pour ceux qui persévèrent car ce n’est pas le cas de tous -, sur une période de deux ou trois années durant lesquelles les candidats reçoivent une formation adaptée. Cette initiation chrétienne repose sur divers piliers : conversion, catéchèse, pratique de la vie chrétienne, initiation liturgique et témoignage [1].


L’Assemblée de la Conférence épiscopale de 1998

Le dialogue avec l’islam fut un des thèmes de réfl exion des évêques français lors de leur assemblée à Lourdes en 1998. Les préalables à une rencontre fructueuse avec les musulmans sont au dire des évêques français tout d’abord de « savoir reconnaître les torts passés de sa communauté » et d’identifier et de respecter nos différences.

Dans la situation présente où les contacts avec des musulmans sont de plus en plus fréquents, il faut développer le dialogue interreligieux. Il importe aussi d’aider l’opinion à ne pas attribuer à tous les musulmans la dérive intégriste de certains groupes minoritaires.

Là où existe une communauté musulmane importante, il est souhaitable que soit nommé un délégué pour les relations avec l’islam. A l’échelon local, il faut favoriser, avec la prudence requise, l’établissement de relations régulières entre communautés musulmanes et communautés chrétiennes.

« Au titre de son expérience des relations entre religion et Etat, tout comme en raison de sa pratique du fait religieux dans un contexte de laïcité, elle [l’Eglise] est sollicitée pour contribuer à résoudre des questions diverses soulevées par la présence des musulmans et par leurs attitudes envers les pouvoirs publics » ; sa réponse peut « favoriser une plus grande ouverture de la pratique de la laïcité, et susciter aussi, de la part des musulmans, une réflexion sur leur propre situation ». L’enjeu en est une reconnaissance de la dimension publique et sociale de la foi et de son rôle dans l’inspiration des valeurs civiques qui cimentent la nation française, sans chercher, ajoute Mgr Billé dans son discours de clôture, « à faire, face à toute une part de cette société, une sainte alliance des religions ».


Ainsi, pris au piège de la liberté religieuse et du pluralisme dans lequel il s’est jeté avec enthousiasme, voilà que l’épiscopat français, après avoir renié le règne social de Notre-Seigneur Jésus-Christ et s’être accommodé sans difficulté de la laïcité, en vient presque à se faire le promoteur d’un « règne social de l’Islam » !


Conversions et demandes de baptême

Il était jusqu’à présent très difficile d’obtenir des données sur les conversions de musulmans. Deux faits expliquent la chose : la crainte d’être accusé de faire du prosélytisme et le souci d’éviter au néophyte des tracasseries inutiles. Si la discrétion s’impose toujours, le silence n’est désormais plus de mise, car c’est un fait incontestable en France aujourd’hui : il y a des demandes de baptême venant de personnes originaires de la tradition islamique. Elles se manifestent partout. C’est pourquoi le Service national du Catéchuménat a publié en octobre 1999, sous le titre Catéchumènes venant de l’islam [2], deux séries de fiches destinées à aider les accompagnateurs de catéchumènes provenant de l’islam. Elles offrent un ensemble d’informations et de repères afin de mieux comprendre ces demandeurs particuliers et les soutenir dans leur démarche spécifique. La première série expose les éléments essentiels de l’islam en les situant en regard du christianisme. La deuxième envisage les éléments fondamentaux du catéchuménat : accueil, discernement, pédagogie de la foi, initiation chrétienne, célébrations, insertion dans une communauté d’Eglise.


Les catéchumènes venant de l’Islam

Il y a, certes, des Français qui se convertissent à l’islam. Les raisons en sont diverses : cela peut être une première découverte de la foi en Dieu pour un jeune élevé dans un milieu athée, l’entraînement de camarades musulmans, l’attirance de la mystique musulmane, un besoin d’une loi précise et ferme face à une société permissive, la reconversion de militants gauchistes vers l’islam considéré comme la religion du Tiers-monde, l’idéalisation de l’aspect plus familial et communautaire de l’islam face à un monde trop individualiste, la conversion forcée dans certains cas de mariages mixtes, un sentiment de frustration chez quelqu’un qui s’imagine que l’islam est plus permissif que sa religion d’origine. Ce phénomène de conversion s’explique aussi par le fait que les catholiques n’osent plus parler de Dieu et que l’Eglise est devenue muette. Selon certains, les convertis à l’islam proviendraient principalement de familles non pratiquantes depuis plusieurs générations où l’on avait depuis longtemps l’habitude « de manger du curé ». Environ 45 000 Français de souche seraient ainsi, depuis vingt ans, passés à l’islam.


Si certains font beaucoup de tapage autour de ces conversions, il serait tout à fait faux de croire qu’il s’agit d’un raz-de-marée car, somme toute, le mouvement dans le sens de l’islam est aujourd’hui à peine plus fort que celui en sens contraire qui va de l’islam vers le christianisme, si l’on consulte les chiffres officiels de la Mosquée de Paris. Peut-être même est-il en diminution. Il y a en effet un nombre assez notable de baptêmes d’adultes d’origine musulmane : ils sont en progression constante, actuellement au nombre de 350 à 400 chaque année, enregistrés par les catéchuménats diocésains. Et près de 10 % des catéchumènes sont d’origine musulmane [3].


l’Eglise moderne, beaucoup sont arrivés à la conclusion qu’il ne faut plus se taire sur ce phénomène, et tout au contraire en parler et informer les catéchuménats diocésains. Ce dont il faut absolument s’abstenir, c’est de citer les noms de personnes converties… Car les néophytes autant que leurs familles en France ou à l’étranger pourraient avoir à en pâtir.


Parmi les candidats au baptême en France aujourd’hui, il y a souvent des personnes originaires du Maghreb ; il y a aussi des demandes de baptême de la part de personnes originaires d’Afrique noire, de Turquie, du Proche-Orient, de l’Océan Indien et d’Asie. « Les itinéraires religieux de ces catéchumènes et le regard qu’ils portent sur l’Islam sont nécessairement marqués par les rapports qu’ils ont entretenus avec leur communauté d’origine. Pour certains, l’adhésion à la foi chrétienne est l’aboutissement d’une démarche religieuse qui a débuté au sein de l’islam. Pour d’autres, il existe un rejet radical de l’islam lié souvent à des expériences familiales ou communautaires malheureuses [4]. Bien des chrétiens venant de l’islam ne révèlent pas, même aux membres de leur famille, leur adhésion au christianisme pour éviter de lourdes tensions familiales. Quoique les conversions au christianisme soient plus facilement acceptées chez les Africains sub-sahariens que dans les familles maghrébines ou turques, la famille éprouve généralement un sentiment de honte et de désarroi si l’un de ses membres se détourne publiquement de l’islam pour adopter une autre religion. Dès le début, il importe d’assurer le catéchumène d’une entière discrétion »[5].

L’infinie variété des personnes et des situations rendent difficile tout essai de classification rigoureuse des itinéraires de conversions [6]. Le Père Jean-Marie Gaudeul, nouveau secrétaire du SRI, a écrit il y a quelques années un ouvrage sur les catéchumènes d’origine musulmane : Appelés par le Christ, ils viennent de l’islam [7]. Les cheminements qui conduisent de l’islam au christianisme sont multiples, expliquet-il, mais on peut les classer en cinq pistes ou itinéraires sur lesquels Dieu attire généralement ces musulmans qui demandent à devenir chrétiens. Sans donner trop d’importance à une classification, on peut mentionner :

  • ceux que fascine la personnalité de Jésus, qu’ils commencent à prier, dont ils expérimentent la puissance et la bonté, et qu’ils finissent par reconnaître comme le Fils de Dieu ;
  • ceux qui recherchent une communauté selon Dieu, communauté qu’ils trouvent dans l’Eglise ;
  • ceux qui, après s’être reconnus comme pécheurs, aspirent à faire l’expérience du pardon gratuit, celui-ci étant interprété diversement par les musulmans ;
  • ceux qui demandent surtout un message cohérent en lui-même et avec la vie, et ont besoin de certitude intellectuelle : instruits dans la polémique, ils ont découvert la Bible et la cohérence du message de l’Evangile les attire ;
  • ceux qui ont surtout soif de rencontrer Dieu, de le prier coeur à coeur, ce qui n’est pas le cas dans l’islam où la prière est un ensemble de rites.


En plus de ces motivations, deux autres causes méritent d’être signalées. La première est la rencontre de chrétiens vivant l’Evangile : « Les relations de plus en plus nombreuses qui se nouent entre chrétiens et musulmans peuvent amener certains musulmans à se poser la question de Dieu autrement et à rechercher ce qui anime les croyants de confession chrétienne. Le désir de vivre une vie croyante dans le cadre de la société française peut amener ces musulmans à vouloir suivre la voie de leurs amis chrétiens » dont ils apprécient les « comportements d’accueil, d’ouverture d’esprit, de partage, de liberté et de sérieux » [8]. D’autres fois, le cheminement se fait à l’occasion d’un rêve, ce qui peut paraître déroutant pour des mentalités occidentales. C’est le cas le plus souvent chez les musulmans qui cherchent une relation personnelle à Dieu et une vie de prière qui n’avait pas été trouvée dans l’Islam : « Songes et visions ponctuent très souvent l’itinéraire de ces chercheurs de Dieu. Et cette voie est souvent la seule qui permette aux aspirations profondes d’émerger malgré les conditionnements psychologiques d’une éducation violemment hostile à toute "apostasie" » [9]. Dieu peut ainsi prendre en mains de manière sensible l’itinéraire de conversion et donne par ce moyen des forces spirituelles supplémentaires pour le poursuivre jusqu’au bout. « Quelles que soient les explications que l’on tenterait de donner à ces phénomènes, il importe de prendre en compte les paroles du candidat au baptême en ne contestant pas ce type de manifestation. C’est d’ailleurs dans le sérieux et la générosité du catéchumène que l’on pourra juger de la valeur de sa démarche » [10]

A juste titre la prudence est recommandée : « Certains musulmans pourraient avoir la curiosité de chercher à savoir comment on agit dans l’Eglise vis à vis des catéchumènes venant de l’Islam. Des tentatives malveillantes ne sont pas à exclure ». D’où les conseils pratiques : « être circonspect et veiller à ce que le témoignage donné ne puisse être suspecté de prosélytisme ou d’irrespect envers la démarche religieuse de l’Islam » ; « ne jamais dialoguer au téléphone ou par courrier avec des personnes dont on ignore les véritables intentions » [11].


L’Eglise doit être missionnaire

Assimilation et intégration

En réalité, le pouvoir d’intégration et d’assimilation, au sens noble, seule l’Eglise catholique le possède, à condition de vouloir rester missionnaire. Or, depuis le Concile Vatican II et la nouvelle théologie, l’Eglise, complexée dès que le mot de prosélytisme est prononcé, s’enfonce dans des dialogues qui se retournent contre elle et laisse le champ libre non seulement à l’islam mais aussi à toutes les sectes et à tous les ennemis de Notre-Seigneur Jésus-Christ. « A vrai dire, me confie un musulman converti, je ne comprends pas l’attitude de la France. Fille aînée de l’Eglise, ayant eu dans son histoire des rapports privilégiés avec les Arabes et les musulmans, accueillant de nombreux musulmans sur son sol, elle néglige de transmettre son précieux héritage spirituel. Beaucoup de chrétiens ne font pas leur devoir de chrétiens. L’Eglise dit aux musulmans : vous avez des valeurs, nous devons les respecter. Certes, mais ces valeurs ne sont qu’humaines. Quand je vois l’état des musulmans en France, leur révolte, leurs recours à la délinquance, je me dis qu’on ne leur apprend pas à ouvrir leur coeur, à aimer, à tendre vers ce qui libère vraiment. Lorsqu’il vit dans une société islamique, le musulman est encadré, orienté par sa famille, son clan, ce qui l’empêche de dévier. Mais ici, livré à lui-même, il ne sait pas gérer sa liberté car il en ignore le sens véritable. Alors, il se perd. C’est une raison suffisante pour lui inculquer d’authentiques valeurs spirituelles. N’est-ce pas le rôle de l’Eglise ? ».


Les moyens à employer

Au cours du Synode sur l’Europe Mgr Bernardini, archevêque d’Izmir en Turquie fit une intervention remarquée, où il mettait en garde contre une fausse appréciation de l’islam et ajoutait : « J’ai une proposition très sérieuse à présenter au Saint-Père, celle de réunir le plus tôt possible, sinon un synode, du moins un symposium d’évêques et de personnes engagées dans la pastorale des émigrés, dans lequel je m’occuperai spécialement de la pastorale des musulmans… Il est toutefois absolument nécessaire que nous soyons unis sur les principes, même s’ils doivent être appliqués de manière différente selon les circonstances de lieu ou de personne. Il n’y a rien de plus négatif que la désunion sur les principes. Je désire conclure par un avertissement que je tire de mon expérience personnelle : il ne faut jamais mettre à la disposition des musulmans une église catholique pour leurs célébrations religieuses, car ce serait pour eux le signe le plus certain de notre apostasie » [12].


De leur côté, les évêques italiens ont jugé bon de mettre en garde contre les mariages mixtes avec les musulmans, et de rappeler que les chrétiens ont toujours le devoir, comme le Christ l’a demandé, d’annoncer l’Evangile aux adeptes de la foi islamique, même si l’on sait que le passage de l’islam au christianisme ne peut se faire sans grandes difficultés [13].

Le cardinal Giacomo Biffi, archevêque de Bologne, a élevé à plusieurs reprises la voix pour dénoncer deux menaces qui pèsent sur l’identité catholique de l’Italie [14]. « Les « défis » qui déjà nous menacent, écrit-il dans une lettre pastorale adressée au clergé de son diocèse, sont principalement au nombre de deux : l’afflux croissant de gens qui viennent chez nous de pays lointains et divers ; la diffusion d’une culture non-chrétienne au sein de populations chrétiennes » [15]. Le cardinal Biffi, n’hésite pas à rappeler aux catholiques leurs devoirs : «… avant tout, l’annonce de l’Evangile. Il s’agit là d’un devoir statutaire de l’Eglise catholique et de tout baptisé : faire connaître à tous explicitement Jésus de Nazareth, le Fils de Dieu mort pour nous et ressuscité, aujourd’hui vivant et Seigneur de l’univers, unique Sauveur de l’humanité entière [...]. Il est important que les catholiques se rendent compte de leur responsabilité - à laquelle ils ne peuvent échapper - à l’égard de tous les nouveaux venus, musulmans compris ».


« Autre devoir : l’exercice de la charité fraternelle. Face à un homme en difficulté (quelles que soient sa race, sa culture, sa religion, la légalité de sa présence), les disciples de Jésus ont l’obligation de l’aimer d’une manière active et de l’aider dans la mesure de leurs possibilités matérielles ». Du point de vue politique toutefois, il faut toujours avoir en vue le bien commun : « Les critères pour admettre les immigrés ne peuvent être uniquement économiques et sociaux [...]. Il est nécessaire de se préoccuper sérieusement de sauver l’identité propre de la nation [...]. Il faut que celui qui veut résider chez nous de façon stable ait la possibilité de connaître au mieux les traditions et l’identité de l’humanité particulière dont il cherche à faire partie et y soit encouragé. Le cas des musulmans sera traité avec une attention particulière. Ils ont un droit de la famille incompatible avec le nôtre, une conception de la femme très éloignée de la nôtre (jusqu’à admettre et appliquer la polygamie). Surtout, ils ont une vision tout à fait intégriste de la vie publique, si bien qu’une parfaite identification de la religion et de la politique fait partie des éléments fondamentaux de leur foi ».

Ce qui rend la vague migratoire actuelle encore plus dangereuse pour la civilisation chrétienne, c’est qu’aujourd’hui « est en marche l’une des plus graves et vastes agressions contre le christianisme dont l’histoire se souvienne. Tout l’héritage de l’Evangile est progressivement renié par la législation, raillé par les « messieurs de l’opinion », chassé des consciences, en particulier des jeunes. Face à une telle hostilité, aussi violente que sournoise, nous avons tort de nous étonner à partir du moment où le Seigneur et ses apôtres nous l’ont annoncé à de nombreuses reprises : « Ne soyez pas étonnés si le monde vous hait » (1 Jn 1, 26). On peut au contraire s’étonner de l’attitude des hommes d’Eglise qui ne savent pas ou ne veulent pas en prendre acte ; en réalité, la seule chose que l’on peut craindre de qui est bien décidé à oeuvrer dans la foi, est la stupidité des « fils de lumière », lesquels parfois ne se contentent pas de « se réjouir avec qui est heureux et de pleurer avec ceux qui pleurent » (Rm 12, 15), mais finissent aussi par se perdre avec qui se perd ».


Il faut travailler à la conversion des musulmans, parce que c’est l’ordre formel du Seigneur qui a dit : « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné » (Mt 28, 19 ; Mc 16, 16). Le salut doit donc être mis à la portée de tous. Or cela se fait par la prédication de l’Evangile et non par le dialogue, dans le sens qu’on lui donne aujourd’hui : « Si tes lèvres confessent que Jésus est Seigneur et si ton coeur croit que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé. Car la foi du coeur obtient la justice, et la confession des lèvres, le salut. L’Ecriture ne dit-elle pas : Quiconque croit en lui ne sera pas confondu ? Aussi bien n’y a-t-il pas de distinction entre Juif et Grec : tous ont le même Seigneur, riche envers tous ceux qui l’invoquent. En effet, quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. Mais comment l’invoquer sans d’abord croire en lui ? Et comment croire sans d’abord l’entendre ? Et comment entendre sans prédicateur ?… Ainsi la foi naît de la prédication et de cette prédication la Parole du Christ est l’instrument » (Rm 9, 9-14 et 17).

Ayant assimilé les idéaux de deux siècles de culture libérale, l’Eglise post-conciliaire donne plus de poids à la parole de l’homme qu’à la Parole de Dieu, sa mission n’est donc plus la propagation de la foi dont naît l’amour, mais le dialogue d’où devraient sortir selon ses partisans le respect mutuel et la fraternité universelle. Si elle rabaisse sa mission à un niveau qui reste de ce monde, elle mérite le reproche d’être infidèle à son Seigneur.

Lorsque les hommes d’Eglise seront enfin conscients qu’ils manquent gravement à leur mission en remettant à plus tard la conversion des musulmans, quels moyens devront-ils employer ? Trois moyens, entre autres, semblent absolument nécessaires : revenir à la théologie catholique traditionnelle ; promouvoir des études scientifiques sur l’origine de la religion musulmane et enfin rappeler aux pouvoirs publics, qu’à défaut d’être chrétiens, ils doivent au moins chercher à promouvoir le bien commun.


Ecclésiologie et théologie missionnaire vraies

Las de lutter contre les ennemis de l’Eglise, les prélats de l’Eglise catholique, dans un grand mouvement d’euphorie, se sont ouverts au monde lors du Concile Vatican II. On aurait dit que l’Eglise n’avait désormais plus d’ennemis. Avec la constitution pastorale Gaudium et spes et les déclarations sur la liberté religieuse et les religions non-chrétiennes, le Concile essayait de mettre l’Eglise au diapason du monde moderne avec qui elle entrait en dialogue ; elle faisait sienne la stratégie sinon les principes du catholicisme libéral jusqu’alors désavoués, par exemple dans le Syllabus.

Le dialogue islamo-chrétien tel qu’il est pratiqué en Europe, manifeste de graves déficiences. Il fait ressortir la faiblesse de la théologie catholique contemporaine qui veut se pencher sur le mystère du salut à partir de la philosophie personnaliste moderne, beaucoup plus qu’à partir de la Révélation. Seul ce que le pape Jean-Paul II appelle le « dialogue de vie » a une véritable utilité car il peut être pour les musulmans vivant en France un bon moyen d’intégration. Ces contacts rompent les barrières, permettent aux musulmans de lier conversation avec des chrétiens et de s’intégrer ainsi dans la société d’accueil. Mais un chrétien ne peut en rester là.

Certes, si les musulmans vivent parmi nous, un certain dialogue et une connaissance élémentaire de l’islam sont nécessaires, mais le dialogue ne peut être qu’une étape. Il s’agit d’ouvrir leur esprit à la Révélation et non de les emprisonner dans l’islam en leur construisant des mosquées ; il s’agit de s’instruire de la doctrine musulmane, non pour être dans l’admiration de ce que l’Esprit Saint leur aurait fait connaître de Dieu, mais dans le but de les comprendre et de trouver les meilleurs moyens à employer pour travailler à leur conversion, en prenant pour point de départ les qualités qu’ils peuvent avoir et les vérités naturelles auxquelles ils croient.

Un musulman converti affirme lui-même : « Il n’y a pas de dialogue et il n’y en aura pas. C’est un leurre car les musulmans, lorsqu’ils font bloc, partent du principe qu’ils possèdent la vérité. Le christianisme ne les intéresse pas et ils ne sont donc pas prêts à discuter religion. En le faisant, ils auraient l’impression de se remettre en cause. De plus, leurs arguments sont puérils, pauvres, pas convaincants. Pourtant, même s’ils ne le savent pas, beaucoup de musulmans attendent la vérité, et c’est à ce niveau des rapports personnels que les prêtres ont un rôle à jouer. S’ils aiment la vérité, ils doivent la faire partager à tout prix ; cela devrait être le prolongement naturel de tout chrétien. Et c’est possible lorsque les musulmans ne sont pas soumis à l’emprise de la communauté comme en France. Croyez-moi, plus d’un musulman vivant ici s’interroge sur le christianisme. Leur apprendre à aimer le vrai Dieu, c’est en cela que devrait consister le dialogue. Hélas ! l’Eglise a démissionné, par lassitude, par lâcheté » [16].


Comme on peut le constater, la position adoptée par les évêques français à l’égard de l’islam en 1998, si elle tient officiellement compte du phénomène nouveau de la présence musulmane en France, est loin de mériter le « reproche de prosélytisme ». Il n’a pas été une seule fois question dans le texte des évêques français du devoir de prier pour la conversion des musulmans, de la responsabilité qui incombe aux chrétiens de leur faire connaître - avec prudence - la foi au Christ en saisissant toutes les occasions qui peuvent se présenter. Le dialogue est le seul but avoué. Seule s’y trouve une très brève allusion à la conversion de musulmans, noyée dans une énumération de faits nouveaux : « La présence de musulmans aux préparations et célébrations d’obsèques, de baptêmes, de mariages, comme aussi le catéchuménat et l’accueil au sein des communautés chrétiennes de nouveaux baptisés issus de l’islam, supposent de la part des pasteurs et des communautés une adaptation à cette situation nouvelle » [17].


Raymond Lulle disait : « Que l’Eglise cesse d’être missionnaire, et elle est aussitôt menacée d’affaiblissement interne. L’oubli de la ferveur primitive explique l’essor de l’islam qui a déjà amputé la chrétienté d’une moitié de son étendue et de ses fidèles » [18].


L’histoire montre que dans le domaine de l’évangélisation des musulmans très peu a été fait, même là où l’apostolat auprès des musulmans eût été théoriquement possible. Il y avait trop à faire par ailleurs : on a été au plus facile et à ce que l’on a cru être le plus pressé.


Si le dialogue ne peut remplacer l’annonce, l’évangélisation ne consiste pas uniquement dans l’annonce de l’Evangile. Il y a la prédication par l’exemple, il y a aussi l’efficacité de la prière, à peu près ignorée aujourd’hui. Les textes officiels sont le plus souvent muets à ce sujet et, par conséquent, peu nombreux sont aujourd’hui ceux qui prient pour la conversion des musulmans, pensent à les convertir ou étudient en vue de ce travail. Il est d’ailleurs assez courant d’entendre dire que les adeptes de Mahomet sont inconvertissables, ce qui est manquer de foi en la puissance de la grâce de Dieu [19]. Certes la chose est fort difficile, surtout dans les pays où est en vigueur la loi islamique, car celui qui se convertit risque la peine de mort [20]. Mais les faits prouvent que ce n’est pas impossible, spécialement lorsque les musulmans vivent au milieu des chrétiens.


Depuis le concile Vatican II, les nouveaux principes de l’évangélisation se ramènent au dialogue qui cherche à découvrir dans les religions non chrétiennes les richesses que le Saint-Esprit y aurait déposées. Plus qu’une méthode missionnaire insistant sur la préparation des âmes à la prédication évangélique par l’éducation et la bienfaisance, ce dialogue consiste à découvrir dans ce que l’autre croit une partie de la parole de Dieu et à s’en émerveiller. Non seulement cette manière de voir repose sur une fausse conception des religions qui n’est ni fondée sur la Sainte Ecriture, ni confirmée par l’histoire, mais elle est impuissante tout spécialement devant l’islam. Ce dialogue théologique pratiqué avec les musulmans ne peut qu’augmenter leur mépris des chrétiens et les conforter dans leurs erreurs, car ils y voient soit un piège, soit un signe de faiblesse.

Abaisser la barrière qui sépare le musulman du chrétien, faire tomber ses préjugés par l’éducation, les oeuvres de bienfaisance, tel doit être le vrai dialogue. Chercher, par tous ces moyens et par le respect manifesté aux musulmans pour leurs personnes, à les faire évoluer dans le sens d’une plus grande ouverture à la civilisation chrétienne est un travail de longue haleine. En somme, il s’agit tout d’abord de les ouvrir aux vraies valeurs, non d’en faire des athées ou des déracinés qui ont le dégoût d’une civilisation européenne reniant ses propres racines et porteuse de la « culture de mort ».


De véritables études coraniques

Comme il est nécessaire pour parler à un musulman de connaître les objections qui l’empêchent de s’approcher du Christ et donc d’étudier sa doctrine, le missionnaire en milieu musulman doit connaître la doctrine de l’islam. Mais si l’on compte aujourd’hui de nombreux chrétiens versés en islamologie, il en est bien peu dont la pensée ne soit pas conditionnée par l’indifférentisme religieux cautionné par le dernier Concile [21]. Cet enseignement nouveau a tué l’esprit missionnaire et conduit de nombreux islamologues catholiques à aborder l’étude du Coran comme s’il s’agissait d’un livre révélé par Dieu. Et s’ils ne vont pas jusqu’à adopter cette attitude, ils se font un devoir par respect pour l’islam, de prendre pour point de départ la tradition musulmane ; démarche anti-scientifique qui fait expliquer le Coran à partir des traditions orales, forgées au gré des besoins de clarification durant les deux ou trois premiers siècles qui ont suivi sa rédaction, les hadith. De telle sorte que le Coran devient à proprement parler incompréhensible et que l’on se trouve devant un cercle vicieux. En effet, on explique le Coran par des hadith, des clarifications apportées pour expliquer le Coran. Il est alors impossible de découvrir et le véritable sens de ce livre et les conditions réelles dans lesquelles il a été écrit.

Il est par conséquent urgent d’appliquer à l’étude du Coran la méthode critique qui permettrait d’élaborer, au sujet de la formation du livre sacré des musulmans et par conséquent de l’islam, des hypothèses acceptables raisonnablement. Et, indépendamment de toute vue missionnaire, il ne sera que plus profitable à la recherche scientifique de se dégager de la tradition islamique du Coran descendu sur Mohammed la nuit de la révélation et dont la connaissance lui aurait été retirée par la suite pour lui être révélée à nouveau selon les besoins.

Le Coran ne doit pas, pour un musulman, faire l’objet de recherches historiques ou psychologiques, car l’a priori de la révélation s’oppose à toute velléité de recherches. Si le musulman a la foi, il en ignore le contenu réel tout autant que l’origine de sa religion, la portée historique du Coran et les rapports de celui-ci avec la Bible, Ancien Testament et Evangile. Aider les musulmans à se libérer de leurs convictions gratuites ou sans fondement pourrait être le résultat des études coraniques, mais à condition qu’elles se dégagent elles-mêmes des préjugés islamiques.


Une politique soucieuse du bien commun

Si le « dialogue de la vie » ne suffit pas, si le dialogue théologique moderne est impossible voire nocif, si la laïcisation éloigne les musulmans et l’islamisation les fanatise, quelle solution pourra être adoptée pour la conversion des musulmans ? Le cardinal Lavigerie avait donné la réponse, d’autres l’ont répétée après lui : une politique qui évolue entre laïcisation et islamisation est vouée à l’échec et cela a été largement prouvé par l’histoire. La solution, qui aurait été le véritable moyen d’assimilation des populations de l’Afrique du Nord et qui sera la clef de l’intégration des musulmans présents en France et en Europe, c’est de restaurer une société qui ne renie ni ses racines ni sa culture chrétienne. Nous en sommes évidemment bien loin [22], principalement parce que les hommes d’Eglise ne sont plus principalement inspirés par les données de la Révélation et de la foi et que les politiciens ne sont plus guidés par la recherche du bien commun. Tous sont conduits par une idéologie : celle des droits de l’homme, soi-disant justifiée théologiquement par une nouvelle conception de la foi et des rapports de l’homme avec Dieu.


Aussi, alors que les conditions présentes sont propices à un apostolat fécond, car la possibilité du dialogue missionnaire existe ainsi que celle d’acquérir les connaissances préalables qui peuvent le faciliter, l’indifférence religieuse au niveau tant de l’Etat que de la hiérarchie de l’Eglise fait que ce qui aurait pu être une occasion inespérée d’apostolat est déjà devenu un danger redoutable.


Ce fut une grave erreur d’avoir exporté chez les musulmans la laïcité. Le musulman est un être essentiellement religieux et sensible à toute forme de piété. Ce qui lui répugne profondément c’est l’absence de foi. Aux yeux des musulmans, un homme qui ne prie pas est un « kelb », un chien. On comprend alors les plaintes des missionnaires d’Afrique du Nord, alors que la politique française prônait le laïcisme pour les Français et l’islamisation pour les Berbères. Ecoutons le cri de l’archevêque d’Alger dégageant dans une lettre écrite en 1872 la leçon de l’insurrection kabyle :

« Chose remarquable, ce ne sont pas les Arabes, c’est-à-dire les musulmans d’origine, qui nous déclarent la guerre sainte, ce sont cette fois les Kabyles ; les Kabyles, il y a six cents ans chrétiens comme nous, comme nous issus de l’antique race autochtone et des conquérants romains ; les Kabyles qui n’avaient nul fanatisme, lors de notre conquête, et dont tout le mahométisme se bornait à réciter la formule du Prophète. Mais, depuis que nous les avons soumis, il semble que nous n’avons rien eu de plus à coeur que de les fanatiser… Nous avons fondé en Kabylie, avec l’argent de la France, des écoles musulmanes ; on a interdit à nos prêtres la prédication de l’Evangile, à nos soeurs l’exercice même de la charité. Eh bien, voici ce fanatisme protégé, fomenté par nous, qui éclate maintenant au grand jour dans l’incendie de nos villages et le massacre de nos populations. Ce spectacle ouvrira-t-il enfin les yeux ? Comprendra-t-on que ce que fait la France depuis près de quarante ans est aussi odieux qu’absurde ? Comprendra-t-on qu’il faut

non pas isoler, parquer les Arabes dans le Coran, mais les assimiler et les noyer, si j’ose dire, dans la pacifique invasion de colons vraiment chrétiens, non pas enfin créer un « Royaume arabe », mais une colonie catholique et française ? »


Même un Etat laïc devrait pouvoir se rendre compte que sa politique d’immigration laxiste ne sert ni le bien commun de la nation ni le bien des immigrés, insatisfaits et déracinés. Si l’idéologie ne l’aveuglait, il ne mènerait pas en parallèle une politique familiale et sociale suicidaire qui ruine les chances de maîtrise de l’immigration : la moyenne française de 1,65 enfant par couple - alors que le simple renouvellement des générations en exige 2,1 - cache de grandes disparités. Les seules zones où soit atteint le seuil de 2,1 se situent en Seine Saint-Denis et dans les banlieues de non-droit. Bien qu’il soit interdit à l’administration d’en publier les chiffres, on peut tenir pour certaine une moyenne d’enfants chez les foyers français de souche, inférieure à 1,5. Au rythme actuel du différentiel démographique et au rythme prévisible de l’accroissement de l’immigration, s’il n’y a pas regain de vitalité du fond français, le renversement de la balance des populations, loin de s’étendre sur sept siècles comme en Egypte entre coptes et musulmans, peut intervenir avant la fin du XXIe siècle. A l’image d’un organisme malade, frappé d’anémie et de paralysie et qui a perdu ses défenses immunitaires, la société occidentale moderne, non contente de se laisser dépérir physiquement par l’avortement, la dénatalité, la drogue et la délinquance généralisée, n’est plus capable et ne souhaite même plus conserver son identité [23].


Enfin l’Islam à la française que certains appellent de leur voeu est une gageure. N’est-ce pas avoir l’ambition de « désislamiser » l’islam ? Qu’on le veuille ou non, il existe une interprétation encore très officielle, vivante et actuelle du Coran et de la Charia qui fait de l’islam le terreau de mouvements islamistes et terroristes. Si, pour gagner leurs bonnes grâces, le gouvernement joue le jeu de l’islamisation en leur construisant mosquées et centres culturels, il tente un pari qu’il risque bien de perdre comme ce fut le cas en Afrique du Nord.

Faire contrepoids à l’Islam exige tout autre chose que d’évacuer les références religieuses. Il faut prêcher la foi et surtout en vivre, et montrer par l’exemple que les valeurs religieuses authentiques que véhicule l’islam sont conservées de manière plus sublime dans le christianisme vécu. La plupart des musulmans qui se convertissent le doivent au témoignage de foi de leurs amis chrétiens, non au dialogue interreligieux. Celui-ci, bien que se voulant une partie de la mission de l’Eglise, n’a justement pas pour but de favoriser les conversions. Y contribue-t-il ? oui sans doute, dans la mesure où il fait tomber les barrières et fait cesser les animosités entre chrétiens et musulmans. Mais cela, n’importe quel « dialogue » pourrait le faire et point n’est besoin pour cela que les chrétiens donnent l’impression de révérer le Coran ou l’islam.


Dans l’état actuel des choses en tout cas - à moins d’imaginer une nouvelle Pentecôte convertissant au Christ les immigrés musulmans réfugiés chez nous par l’inhumanité des islamistes, avant qu’ils ne convertissent à leur tour leurs coreligionnaires dans leurs pays d’origine -, un risque énorme se profile tant que nous nous avancerons dans nos impasses. Il faut donc espérer le meilleur et craindre le pire, car la situation est d’une extrême gravité.


Comme le Père de Foucauld l’écrivait à René Bazin le 1er juillet 1916 : « Si nous n’avons pas su faire des Français de ces peuples, ils nous chasseront. Le seul moyen qu’ils deviennent Français c’est qu’ils deviennent chrétiens. Sinon, avant cinquante ans, nous serons chassés de l’Afrique du Nord ». Ces paroles prononcées par un connaisseur de l’islam et des musulmans se sont révélées tragiquement prophétiques. Souhaitons que les suivantes, tout aussi prophétiques, se réalisent elles aussi : « Apprenez bien par coeur que c’est seulement en christianisant les musulmans que vous les civiliserez, que c’est en les civilisant que vous les intégrerez, et que c’est en les intégrant que vous ajouterez d’autres Cyprien et Augustin à vos Vincent de Paul et Curé d’Ars » [24]. Concluons donc avec le cardinal Biffi :

« Je pense que l’Europe redeviendra chrétienne ou sera musulmane. Ce qui me semble sans avenir est la « culture du rien », de la liberté sans limite et sans contenus, qui semble être l’attitude dominante parmi les peuples européens, et sera incapable de soutenir l’assaut idéologique de l’islam qui ne manquera pas : seule la redécouverte de « l’événement chrétien » comme moyen unique pour l’homme de se sauver - et donc seulement la résolution de ressusciter l’ancienne âme de l’Europe - pourra offrir une issue différente à cette confrontation inévitable » [25].


Conclusion

En conclusion, je résumerai : la doctrine musulmane, confirmée par la pratique dans les pays musulmans, rend quasiment impossible sous le régime de la charia la conversion d’un musulman : celui qui prêche la doctrine du Christ autant que celui qui se convertit sont passibles de graves peines, jusqu’à la peine de mort. Même quand l’Eglise bénéficie d’une certaine liberté dans quelques pays musulmans (Maroc, Tunisie), la doctrine chrétienne ne peut être prêchée qu’aux chrétiens. En revanche, sous domination chrétienne, les musulmans étaient libres de se convertir, s’ils le désiraient. Ce fut le cas dans le Royaume de Jérusalem. C’est le cas aujourd’hui en Europe, mais ni l’Etat avec son laïcisme ni l’Eglise avec le dialogue interreligieux et sa nouvelle théologie ne le veulent.


On comprend mieux l’invitation de saint Paul à Timothée de prier pour les gouvernants, afin qu’une vie sociale calme et paisible s’instaure dans la piété. Dieu en effet veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité, ce qui est rendu fort difficile quand le gouvernement s’oppose à la religion catholique. En somme, l’action missionnaire doit faire connaître la doctrine sociale de l’Eglise sans l’amputer de son fondement qui est la doctrine du Christ-Roi.


Notes

  1. cf. Rituel de l’initiation chrétienne des adultes, Paris, Desclée-Mame, 1997, 245 p.
  2. Service National du Catéchuménat, Catéchumènes venant de l’Islam, 1999, 55p.
  3. En effet, pour la seconde année consécutive, le Service National du Catéchuménat a mis au point une fiche statistique et publié l’enquête nationale réalisée. Les chiffres communiqués font ressortir les éléments suivants. En 1999, il y avait en France officiellement 8 290 catéchumènes et il y eut 2 329 baptêmes (on ignore la proportion d’anciens musulmans). A Pâques 2000, les catéchumènes étaient 9 474 et il y eut 2 503 baptêmes dont 9 % provenaient de l’Islam, soit environ 225. Pâques 2001 : 8 945 catéchumènes et 2 363 baptêmes dont 7 % en provenance de l’Islam, soit environ 165. Les régions d’Ile de France, Provence-Méditerranée, Centre-Est (Lyon), Est et Nord sont celles où l’on enregistre le plus de conversions en provenance de l’Islam. Cela correspond aux régions où la densité de la population musulmane est la plus forte.
  4. Ibid., p. 15 (fiche 3 : Leur rapport à la communauté musulmane et à la famille).
  5. Ibid., p. 29 (fiche 7 : L’accueil et le discernement).
  6. Ibid., p. 21 (fiche 5 : Les motivations rencontrées).
  7. J.-M. Gaudeul, Appelés par le Christ, ils viennent de l’Islam, Paris, Cerf, 1991, 348 p.
  8. Catéchumènes venant de l’Islam, p. 22.
  9. Ibid., p. 23.
  10. Ibid., p. 30 (fiche 7 : L’accueil et le discernement).
  11. Ibid., p. 30.
  12. Initiativkreis katholischer Laien und Priester der Diözese Augsburg e.V., Informationen aus Kirche und Welt, Augsburg, 11, 1999 ; Page internet du Vatican.
  13. DT, 3 février 2000, p. 6.
  14. Selon le ministre de la Solidarité sociale, Mme Livia Turco, il y avait en l’an 2000 dans la péninsule italienne un million deux cent quatre-vingts mille musulmans. 70 000 d’entre eux seraient des Italiens convertis à l’islam (cf. La Repubblica, 14. 9. 2000).
  15. Cardinal Giacomo Biffi, Lettre pastorale du 12 septembre 2000 intitulée Note pastorale : la Citta de San Petronio nel terzio Milenio. Extraits en français dans Action familiale et scolaire, 153, février 2001, p.61-65.
  16. S.-P. Kerboua, l.c., p. 272
  17. Document des évêques de France sur le dialogue avec l’islam, in DC 95, 1998, p. 1031ss.
  18. Cité par V. Serverat, Utrum culpa sit in christianis ex ignorantia infidelium, in RSTP 73, 1989, p. 369-396.
  19. Joseph Hours, Devant l’islam, in Itinéraires II, 1990, p. 254-292 ; L’Eglise face à l’islam, in Action familiale et scolaire, 102, août 1992.
  20. Interrogé à ce sujet à l’occasion de l’audience accordée par Jean-Paul II au Président Chatami le 11 mars 1999, l’ambassadeur de la République islamique d’Iran déclarait qu’il s’agissait là d’une « affaire interne » à l’Iran (DT, 13 mars 1999).
  21. Nostra aetate, 3.
  22. Rappelons pour mémoire qu’au Sommet européen de Nice (décembre 2000), sous présidence française, une charte des droits fondamentaux a été adoptée. Le projet comportait un préambule dont le deuxième alinéa commençait par : « S’inspirant de son héritage culturel, humaniste et religieux, l’Union se fonde… ». Le premier ministre français, Lionel Jospin, a cru devoir téléphoner à Roman Herzog, président de la commission chargée de la rédaction de la charte, ancien président de l’Allemagne, pour exiger la correction de ce préambule au motif que pour la France, « république laïque », la référence à un héritage religieux était « inacceptable ». Religieux a été remplacé par spirituel. Mais la spiritualité évoque une attitude ou une disposition ; elle n’exprime aucun contenu.
  23. Avec un indice de fécondité de 1,25 enfant par femme entre 15 et 45 ans, en l’Allemagne où vivent actuellement 75 millions d’Allemands (81 millions d’habitants en tout), il n’y aura plus à la fin du siècle que 22 millions d’Allemands de souche. Mais ni l’épiscopat ni aucun parti politique ne propose des mesures et un idéal moral capable d’enrayer ce suicide collectif de la nation allemande (cf. Regensburger Bistumsblatt, N° 26, 25. 6. 2000, p. 6-7).
  24. La XIIe Croisade, p. 177.
  25. Cardinal Giacomo Biffi , Note pastorale (12. 09. 2000).


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